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Vers une architecture numérique – BSA-FAS

L’architecture numérique peut se deviner dans les formes – ou pas

Des machines CNC fraisent des pièces, des architectes observent des maquettes à travers des lunettes de réalité virtuelle ou programment des plugins, des algorithmes aident à la recherche de formes – une visite à Bâle montre à quel point l’équipe de Herzog & de Meuron est ouverte aux outils numériques.

Elias Baumgarten
Collection de différentes maquettes dans la salle Hans Huber du casino municipal. Photo: © Ruedi Walti

Le foyer orné d’un double lustre somptueux, une signalétique brodée sur des tapisseries de brocart spécialement reproduites en France, des volées d’escaliers aux courbes ondoyantes par lesquelles le public, la main glissant sur les rampes galbées, rejoint les rangées, un rouge profond, le parquet au veinage de bois penchant alternativement à gauche et à droite, des parois miroitantes d’aspect tour à tour embué, velouté, métallique ou scintillant – depuis la transformation signée Herzog & de Meuron, le casino municipal de Bâle émerveille par son opulence. La somme des impressions ressenties fait tourner la tête. La manière dont l’extension de l’édifice joue avec le langage architectural du néobaroque est saisissante. Partout se fait sentir la joie des créateurs à accomplir leur travail et leur flair en matière d’histoire de l’architecture. Mais ce projet est davantage qu’un jeu créatif avec le passé: il montre les possibilités que nous offrent aujourd’hui les outils numériques. Pardon?, s’étonnera plus d’un. Car cela n’est pas manifeste. On ne s’en rend compte qu’après une première visite chez Herzog & de Meuron.

 

«Bien sûr, nous continuons à faire des maquettes»

«Chez nous, tout commence toujours par l’idée architectonique», souligne Steffen Riegas dès notre arrivée, «nous recherchons toujours les outils numériques en fonction des exigences d’un projet, ils ne sont jamais une fin en soi». Les outils numériques chez Herzog & de Meuron constituent véritablement une extension du répertoire. Ils doivent coexister à côté des méthodes traditionnelles et ne pas obligatoirement les remplacer. Et pourtant: l’ouverture d’esprit des Bâlois pour les innovations techniques est grande. Riegas dirige le département «Design Technologies» qui leur est spécialement consacré. 20 personnes y travaillent. Sur leurs tables trônent des maquettes réalisées par impression 3D, et des pièces fraisées en CNC voisinent avec les derniers modèles de lunettes de réalité virtuelle – un véritable paradis pour les passionnés de technologie.

Représentation de la salle de musique générée avec unrealengine. Photo: © Herzog & de Meuron

«Pour le casino municipal, les applications de réalité virtuelle ont joué un rôle de premier plan pour nous», explique Riegas, en regardant les lunettes. Et le chef de projet Thorsten Kemper de compléter: «Nous ne les avons pas seulement utilisées pour présenter notre composition, mais surtout pour nous-mêmes, comme auxiliaire important dans le processus de conception. Les grandes hauteurs des pièces de l’extension et des cages d’escaliers sont difficiles à cerner lorsqu’on les représente sur un plan ou en coupe. Avec les lunettes de réalité virtuelle, nous avons pu vérifier très rapidement nos idées architectoniques et par exemple tester différentes variantes.» Cette technique est encore relativement nouvelle: ce n’est qu’en 2014 qu’est arrivé sur le marché avec les DK2 un modèle de lunettes de réalité virtuelle vraiment utilisable par les cabinets d’architecture. Il suscita immédiatement l’intérêt de Riegas et de ses collègues, mais ils demeurèrent prudents: «Nous avons commencé par faire de nombreux essais», se souvient Andreas Fries, partenaire depuis 2011 chez Herzog & de Meuron. «Nous voulions déterminer à quel point la représentation spatiale était proche de la réalité.» Les lunettes ont su convaincre. La technique est également intéressante en ce qu’elle peut être désormais intégrée sans transition dans le processus de conception, par exemple avec le plugin Enscape pour Rhinoceros 3D. Le modèle 3D dont on dispose de toute manière peut alors être utilisé directement. 

 

De la première ébauche au composant fini

Le processus allant de la conception à la fabrication de composants a toujours été séquentiel. Les outils numériques changent la donne – et cela peut être un avantage pour les architectes. Prenons pour exemple les piliers des balustrades du casino municipal. Tandis que Riegas montre l’atelier CNC avec laser, fraise 3 axes et imprimantes 3D, en service depuis douze ans déjà dans la cave du cabinet d’architecture, avant de faire la démonstration du centre d’usinage 5 axes et enfin de présenter la toute dernière fraise CNC portative, Kemper explique: «Nous avons trouvé dans les archives privées de Jakob Stehlin ses carnets de modèles. Nous en avons extrait différents éléments de balustres, que nous avons recombinés pour obtenir en fin de compte cinq piliers d'aspects différents. Au lieu de les réaliser au tour comme on l’aurait fait au XIXe siècle, nous les avons fraisés avec notre machine après quelques expériences effectuées avec des maquettes en carton.» En procédant ainsi, les traces de fraisage sont restées visibles. «Il est alors manifeste qu’il s’agit de pièces datant du XXIe siècle qui s’intègrent à merveille dans leur environnement historique».

Conception et fabrication de la balustrade. Photo: © Herzog & de Meuron

Les limites du faisable

Que les technologies numériques offrent de nouvelles possibilités de réalisation est démontré par la façade de l’extension vers la place des Cordeliers (Barfüsserplatz). Au premier coup d’œil, elle semble être une simple copie de la façade existante – ce qui pourrait inciter plus d’un critique à déclarer un peu vite qu’elle manque d’audace – mais il s’agit en vérité bien davantage d’une nouvelle interprétation. Elle est composée d’un mur en béton armé revêtu d’un habillage en bois. Ce dernier est un puzzle constitué d’une multitude d’éléments. Ces éléments ont été conçus en 3D par Herzog & de Meuron, puis fraisés par la société de construction en bois PM Mangold. «Autrefois, une construction de ce type n’aurait pas été possible ou aurait représenté un énorme travail», explique Fries. «Ce n’est pas la première fois que le scriptage permet de réaliser des façades complexes, qui n’auraient pas pu voir le jour avec des méthodes traditionnelles. L’enveloppe du bâtiment des expositions de Bâle, par exemple, qui est composée de 45’000 pièces individuelles, a été développée dès 2011 à l’aide d’outils numériques. Si les sociétés de construction étaient à l’époque encore sceptiques, dit-il pour résumer, elles sont aujourd’hui largement ouvertes à ce genre de solutions. L’évolution a été fulgurante au cours des dix dernières années.

Vue extérieure de l’extension du casino municipal depuis la place des Cordeliers ou Barfüsserplatz. Photo: © Ruedi Walti

«Les choses deviennent passionnantes lorsque des méthodes numériques avec leur haut degré de précision sont confrontées à l'artisanat traditionnel, aux caractéristiques spécifiques des matériaux et parfois à d’importantes tolérances sur le chantier», ajoute Kemper. «Cette transition est un véritable défi!» Il montre alors des photos des rampes galbées du casino municipal. «Dans de nombreux bâtiments historiques», explique-t-il, «on trouve des rampes aux formes élégantes, et on se demande comment cette complexité a pu être maîtrisée avec des outils traditionnels. Si l’on y regarde de plus près, on détecte bien sûr des discontinuités et de petits ajustements. Aujourd’hui, nous pouvons modéliser en 3D des rampes galbées aux formes parfaites, mais sur le chantier, tous les corps de métier qui se retrouvent doivent composer avec leurs tolérances respectives.» Et c’est pourquoi il est toujours important, en dépit des nouvelles possibilités, de réaliser des maquettes. Car lorsque des problèmes apparaissent dans la maquette physique, cela accroche aussi plus tard sur le chantier.

 

Et ensuite?

Il est probable que l’imbrication entre outils numériques et techniques artisanales sera beaucoup plus étroite à l’avenir. Quoi qu’il en soit, Riegas, Fries et Kemper voient un immense potentiel dans ce que l’on appelle la fabrication augmentée. Les algorithmes aussi gagneront en importance à l’avenir. «Dans notre travail sur la Bibliothèque nationale de Jérusalem, ils nous ont grandement aidé dans la recherche des formes», déclare Riegas. «Il s’agissait de définir une courbe devant répondre à tout un faisceau de paramètres. Bien sûr, cela aurait pu aussi plus ou moins fonctionner avec une stratégie ‘trial and error’, mais aurait pris un temps fou. Nous avons donc utilisé le plugin Galapagos pour Grasshopper et Rhinoceros 3D.» Enfin, l’importance des imprimantes 3D aussi augmentera: cette technologie est bien établie depuis des années dans la construction de maquettes et de prototypes, des composants plus complexes et de plus grande taille suivront sur les chantiers.

Cependant: jusqu’à présent, le progrès technique est freiné au niveau d’un point décisif – les interfaces. La connexion de différents programmes est encore souvent insatisfaisante, estiment Riegas, Fries et Kemper. À ce propos d’ailleurs, cela reste l’un des obstacles majeurs à l’utilisation du BIM, même si plus d’un fournisseur de logiciels prétend le contraire.

Reste à déterminer ce dont les architectes devront être capables à l’avenir pour profiter des innombrables nouvelles technologies. «Des diplômés avec un savoir d’expert seraient une bonne chose», concède Fries, «mais ce n’est pas réaliste. Les architectes devraient demeurer polyvalents. Ils ne peuvent pas trouver tout seuls de solution à tout. Ils ont besoin d’une vue d’ensemble et d’une compréhension fondamentale du potentiel des technologies.»

Cage d’escalier avec parquet spécialement conçu pour le casino municipal. Photo: © Ruedi Walti