« Vous autres architectes, je le comprends bien, ne pouvez pas changer les lois. Seul le peuple le peut s’il le veut, s’il en voit la nécessité. Vous, les architectes, devez nous en démontrer la nécessité. À nous, c’est-à-dire aux profanes. Et c’est là que je veux en venir : vous ne pouvez pas faire d’urbanisme, mon cher, sans nous, sans la communauté des profanes, sans le peuple, sans débat politique qui mène à la claire conscience des objectifs et, partant, à la capacité d’agir. »[i]
La construction du territoire suisse, tout le monde y participe : c’est une œuvre collective. L’aménagement du territoire ne peut atteindre ses buts qu’à travers la participation active de l’ensemble de la société. Si l’on entend promouvoir une culture partagée du bâti, il faut que tous les acteurs impliqués « travaillent ensemble », comme le veut la devise du Projet de territoire Suisse.[ii] Or, des acteurs impliqués, nous en sommes tous – en particulier celles et ceux d’entre nous qui sont architectes. Les architectes se sont trop longtemps tenus à l’écart du débat sur l’aménagement du territoire. Ils ont trop longtemps pesté contre les lois sur les constructions tout en les acceptant quand même, parce qu’ils voulaient construire. Ces lois ne sont pourtant pas immuables. Nous tous pouvons, devons, même, les changer et leur donner forme. Nous sommes en démocratie : le législateur, c’est nous tous ! Qui de mieux placé que les architectes pour mettre le doigt sur les déficiences de la législation sur les constructions et proposer des améliorations ?
Si les architectes ne veulent pas enterrer leurs idéaux dans les fouilles de leurs chantiers,[iii] il faut qu’ils se préoccupent, en citoyens engagés, de l’aménagement du pays et de la législation qui le régit, et qu’ils assument la mission que leur a confiée la société. Cela signifie très concrètement s’engager en faveur d’une production architecturale de qualité, prendre position dans le débat public, élaborer des règlements, identifier les lacunes juridiques, jouer avec les prescriptions en vigueur, lancer des initiatives et, surtout, développer des visions d’avenir et explorer les moyens de les réaliser. Même s’il existe aujourd’hui en Suisse un droit de l’aménagement du territoire, ces mots d’Armin Meili n’ont rien perdu de leur actualité :
« Chaque génération doit rendre compte à la suivante des valeurs d’avenir qu’elle a produites. [...] L’aménagement du territoire est autant que l’architecture une quête artistique de la perfection, autant que l’ingénierie et l’économie un objet de recherche scientifique. Nous devons donc nous atteler avec une volonté créatrice à ces grandes tâches. La peur des difficultés, des peines et des luttes ne doit pas nous retenir de tendre vers quelque chose de total et de jeter ainsi les fondements d’ouvrages racés. Si nous y parvenons, nous serons assurés de la gratitude de nos descendants, cette gratitude que nous témoignerions volontiers à nos prédécesseurs s’ils avaient pensé à l’aménagement du territoire. »[iv]
Appel
L’auteur est bien conscient que la proposition émise ici reste à l’état d’idée ; que sa mise en œuvre serait ardue, sinon illusoire ; qu’une révision des lois sur les constructions prendrait des années, voire des décennies, etc. Et pourtant. Faut-il renoncer parce qu’il y a des difficultés ? La démarche esquissée ici est à prendre comme une première ébauche, susceptible d’être développée, corrigée ou remplacée par une meilleure. Que celles et ceux qui ont des critiques, des doutes, des questions, des suggestions, des compléments ou des remarques ne les gardent pas pour eux, mais les expriment publiquement. Engageons la discussion :
baugesetze-formen.ch
[i] Max Frisch: «Der Laie und die Architektur. Ein Funkgespräch», dans: indem: Gesammelte Werke in zeitlicher Folge, 1949-1956, Francfort-sur-le-Main 1976, p. 283.
[ii] Conseil fédéral suisse et. al. (éd.): Projet de territoire Suisse, Berne 2012, p. 4.
[iii] Max Frisch 1976, p. 264.
[iv] Armin Meili: Zürich Heute und Morgen. Wille oder Zufall in der baulichen Gestaltung, Zurich 1945, p. 15.